L’esclave a d’abord été publié en 1998 aux Éditions Libre Expression. Le livre a été bien reçu au Québec par la critique littéraire et par les lecteurs. Plusieurs milliers d’exemplaires ont été vendus ici même au Québec, ainsi qu’aux clubs du livre France Loisirs et les Presses de la Cité.
Résumé du roman
L’intrigue de L’esclave se déroule au Canada, sous le régime français, et relate les huit dernières années de vie de l’esclave noire Marie-Joseph-Angélique, bien connue des historiens grâce aux minutes de son procès conservées intactes aux Archives nationales du Québec. Cette jeune femme est accusée d’avoir provoqué le désastreux incendie de Montréal d’avril 1734, en mettant le feu à la maison de sa maîtresse Thérèse de Couagne, veuve du riche marchand-équipeur François Poulin de Francheville. Soupçonnée d’avoir agi pour se venger et dans l’intention de fuir avec son amant blanc, Claude Thibault, Angélique est condamnée à mort, torturée et pendue.
À travers la vie d’une simple domestique noire, dont on n’aurait jamais entendu parler n’eut été de son geste malheureux, se profile celle de ses maîtres, François Poulin de Francheville et Thérèse de Couagne, qui ont tous deux marqué à leur façon la société de leur époque. Seigneur de Saint-Maurice, négociant en grains prospère et «bourgeois-gentilhomme» de Montréal, c’est comme marchand-équipeur que Poulin de Francheville se retrouve au coeur de la grande aventure du commerce des fourrures. À ce titre, c’est lui qui tout à la fois finance, organise, équipe, ravitaille et coordonne les expéditions des coureurs de bois. Une entreprise exigeant beaucoup d’initiative et parfois aussi l’audace de contourner le monopole de la Compagnie des Indes pour s’approvisionner en contrebande auprès des colonies anglaises.
François Poulin de Francheville poussera aussi l’esprit d’entreprise jusqu’à réaliser son rêve le plus téméraire, faire émerger des sables de sa seigneurie la première exploitation métallurgique canadienne, les Forges de Saint-Maurice. Personnage ambitieux et polyvalent, né du contexte économique particulier du début du dix-huitième siècle, il fraie avec les plus grands, dont l’intendant Gilles Hocquart et François-Étienne Cugnet, membre du Conseil supérieur et influent représentant du roi au Canada, comme avec de riches commerçants tels qu’Ignace Gamelin et Nolan Lamarque. Il n’hésitera pas au besoin à prendre la plume pour écrire directement au ministre Maurepas et même au roi, pour obtenir des ouvriers spécialisés, de l’équipement, ou encore des avances de fonds afin de poursuivre son exploitation. Il réussit là où d’autres avant lui ont échoué, malgré les immenses difficultés d’une pareille entreprise: les balbutiements de la technologie d’exploitation du fer, les coûts exorbitants de la main-d’oeuvre et le manque d’expérience des Canadiens. François Poulin se battra avec acharnement jusqu’à la fin pour mener sa tâche à terme. Son épouse Thérèse, fille du bourgeois-marchand Charles de Couagne, remplacera avec talent son mari lors de ses absences répétées et elle n’hésitera pas, à la mort de ce dernier, à reprendre le flambeau et à redémarrer les forges à titre d’actionnaire principale de la compagnie. Elle est considérée avec raison comme l’une des premières femmes d’affaires du Canada.
Marie-Joseph-Angélique, le fil conducteur de toute cette saga, est aussi à sa façon un personnage singulier. Simple esclave domestique, elle a l’audace de tenir tête à ses maîtres, de prendre un amant blanc et de multiplier les actes d’insubordination, au point de fuir avec lui une première fois et d’être soupçonnée d’avoir mis le feu à la maison de sa maîtresse pour tenter de couvrir une seconde fugue. Elle niera ensuite toutes les accusations portées contre elle pendant l’interminable procès qui suivra, en dépit de son isolement et de l’ignorance dans laquelle on la tient, et refusera farouchement d’inculper son amant de complicité. On ne saura jamais qui a provoqué l’incendie fatal, malgré les aveux d’Angélique arrachés sous la torture et les fortes présomptions de culpabilité qui pesaient sur elle. Son obsession de liberté et son acharnement à vouloir à tout prix échapper à sa condition d’esclave, en dépit des difficultés d’un tel projet, en font une héroïne émouvante et tragique. Son courage et son intelligence à déjouer le piège des questions du juge criminel, ainsi que sa lutte pathétique pour échapper au supplice et à la mort, nous la rendent aussi plus humaine et plus attachante.
L’histoire de cette négresse incendiaire permet de mettre en lumière la question de l’esclavage au Canada français, une institution beaucoup plus autochtone que noire, moins dure que ce que l’on retrouve à l’époque dans les îles à sucre et les colonies anglaises, mais qui est peu connue et complètement évacuée de l’histoire officielle. Ce roman explore ainsi le quotidien des petites gens, domestiques et esclaves, et fait une large place aux relations qui se sont tissées entre Blancs et Indiens. On y voit se développer différentes amours métissées: celles de François et de la Louve, de Guillaume Robitaille et de Marie Nibiska, d’Angélique et de Claude Thibault. Ce récit nous fait également suivre, quasiment au jour le jour, les différentes étapes d’un procès criminel à une époque où le système judiciaire hérité de l’Inquisition laissait peu de place à la compassion et s’apparentait beaucoup plus à une vengeance froide et calculée, qu’à une justice à visage humain.
Sur fond de descentes de rivière, de traite des fourrures et d’exploitation du fer, c’est toute une société en quête d’affranchissement de la tutelle métropolitaine que l’on voit évoluer, nourrie de ses nombreux échanges avec l’Indien et constamment menacée par l’étau de l’expansion anglaise.